Clément Chaudier
ENTRETIEN AVEC SIHEM GHORAB PSYCHOLOGUE đïž Partie II
DerniĂšre mise Ă jour : 13 mai 2022
Suite et fin de notre entrevue avec la jeune et brillante psychologue Sihem Ghorab.
Que vous inspire la phrase suivante : « se dĂ©barrasser de sa peur plutĂŽt que dâapprendre Ă vivre avec » ?
Il sâagit de la meilleure stratĂ©gie Ă adopter pour se sentir Ă©panoui(e). Cette phrase renvoie Ă la dĂ©marche dâun adule sain.
Un adulte sain est un individu qui a conscience de ses limites et qui les prends Ă bras le corps pour ne plus vivre avec. Si on apprends Ă vivre avec quelque chose qui nous fait souffrir tĂŽt ou tard cette souffrance va impacter dâautres sphĂšres de notre vie et engendrer une douleur encore plus grande.
Apprendre Ă vivre avec ses angoisses raccourcit le champ du possible. Câest le principe de lâĂ©vitement. Plus on esquive le ou les situations dans lesquelles nos peurs se matĂ©rialisent et plus ces derniĂšres nous paraissent impossible Ă surmonter. On crĂ©e alors un cercle vicieux dans lequel on se retrouve esclave de notre peur que lâon cherche perpĂ©tuellement Ă Ă©viter.
On finit par ne plus oser agir et cela conduit Ă un immobilisme total đ°
Quâessayez-vous dâapporter aux personnes qui viennent vous voir ?
Jâapporte aux personnes qui viennent me voir un pouvoir dâagir. Ensemble, nous travaillons pour que le patient reprenne le contrĂŽle de sa vie, de ses pensĂ©es et de son comportement.
Mon rĂŽle est de mettre en lumiĂšre les souffrances des patients pour que nous agissions concrĂštement dessus.
La durĂ©e du travail thĂ©rapeutique prend plus ou moins de temps en fonction des causes des souffrances. Ainsi, il est difficile voire impossible de dĂ©terminer Ă lâavance la durĂ©e prĂ©cise dâune thĂ©rapie. NĂ©anmoins, il nâexiste pas de problĂšmes insolvables. Le domaine dâexpertise de la psychologie Ă©volue constamment. Tous les jours on dĂ©veloppe de nouvelles thĂ©ories et connaissances sur la maniĂšre de guĂ©rir telle souffrance ou traumatisme.
Aucune souffrance nâest taboue car le champ de parole au sein dâun cabinet se dĂ©roule sans le moindre jugement de valeur. Si un psychologue Ă©met la moindre once de jugement il faut immĂ©diatement arrĂȘter de le voir. Câest le principe dâacceptation inconditionnelle thĂ©orisĂ© par Carl Rogers : un psychologue peut tout entendre.
Comment faites-vous Sihem pour rester neutre et ne pas laisser vos principes et valeurs interférer dans votre analyse thérapeutique ?
Les psychologues font une distinction claire et nette entre la personne quâils sont et la fonction quâils habitent. Nos valeurs et principes personnels sont mis de cĂŽtĂ© lors du travail thĂ©rapeutique. Bien sĂ»r, notre histoire de vie (Ă©ducation, lectures, origines, visions) influencent notre maniĂšre de travailler mais cela ne rentre pas en compte au moment dâanalyser un patient.
De plus, il existe des garde-fous pour Ă©viter ce genre dâinterfĂ©rence :
1) Formation pendant 5 ans afin de faire une distinction entre notre référentiel (ce que nous ressentons et pensons) et celui du patient
2) Supervision : un psychologue plus expĂ©rimentĂ© supervise en dĂ©but de carriĂšre les sĂ©ances de ses confrĂšres dĂ©butants afin dâĂ©viter ce genre de situation
3) Observation de soi-mĂȘme : on nous forme pour analyser nos rĂ©actions en fonction des dires des patients dans le but de rester le plus neutre possible
Comment procédez-vous pour construire une alliance thérapeutique forte avec vos patients ?
Lâalliance thĂ©rapeutique donne naissance Ă une relation : ni amical ni sentimental mais de travail.
Pour ma part, jâessaie de construire la relation thĂ©rapeutique avec mes patients en respectant quelques principes Ă©tablis :
Accueillir la parole du patient en lui laissant tout lâespace disponible
Ătre constamment dans lâempathie
Dans un premier temps se mettre en retrait pour ne pas ĂȘtre intrusif et mettre Ă lâaise la personne
Rester naturel
Toutefois il est important de prĂ©ciser que lâalliance thĂ©rapeutique ne se produit pas Ă chaque fois. Il arrive quâun psychologue et son patient nâarrive pas Ă crĂ©er de lien. Cela ne signifie pas que le psychologue est mauvais ou que le patient ne joue pas le jeu.
Cette situation nâa rien de dramatique. Il suffit simplement dâarrĂȘter le processus thĂ©rapeutique et de consulter un autre psychologue. Il est vital que lâalliance thĂ©rapeutique fonctionne car comme je le rĂ©pĂšte souvent :
Sans alliance thĂ©rapeutique pas de travail thĂ©rapeutiqueÂ
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux personnes qui nâosent pas sauter le pas ?
Les personnes qui nâosent pas doivent prendre conscience quâelles nâont strictement rien Ă perdre. La seule chose quâelles vont peut-ĂȘtre perdre câest une heure et un peu dâargent.
En effet, lâargent et le temps investis ne sont rien comparĂ©s au bienfaits psychologiques que la thĂ©rapie procure. Le jeu en vaut donc la chandelle car les acquis provenant du travail effectuĂ© se gardent Ă vie. Aller voir un psychologue est le meilleur moyen de montrer quâon sâaime.
Câest le meilleur investissement que lâon puisse faire nous-mĂȘme vis Ă vis de nous-mĂȘme.
Jâinvite toutes les personnes qui Ă©prouvent une difficultĂ©, une souffrance ou une Ă©motion qui les mettent dans une position dâinconfort de venir Ă©changer avec un psychologue afin de se sentir mieux.